Magnifique, fantastique Berlin, je te dédie ces quelques lignes.
Quand je suis arrivée, j'étais sceptique. Tu ne me plaisais pas beaucoup, tu étais grise et triste. Et puis il faut dire, tu n'as pas été très gentille avec moi au début. Le vol de tous mes papiers, que tu m'as allègrement fait subir cinq jours après mon arrivée, m'a rendu l'inscription à la fac et la recherche d'un appartement encore plus difficiles que ce qui était pévu. Tu as par ailleurs des côtés très énervants. Ton climat te rend intolérable aux trois quarts de la population mondiale et tu en es fière. Chaque matin d'hiver, pour narguer tes habitants et leur lancer un nouveau défi, tu descends ta températures déjà bien basse de quelques degrés et tu rajoutes quelques centimètres à ton manteau de neige, et ce de novembre à avril. En plus de cela tu n'es pas ce qu'on peut appeler une belle ville. Tes lourds bâtiments en brique rouge et tes constructions douteusement modernes sont une insulte à l'architecture. A côté de Paris tu fais bien pâle figure. Tu es démesurément grande et les longues marches que tu nous imposes est une véritable sélection naturelle : seuls les plus robustes et les plus sportifs peuvent rester pour t'habiter. Je me souviens encore avec émotion de mes courbatures dans les jambes lors des premières semaines passées dans tes murs.Tes rues sont tout bonnement ridicules : "Bleibtreustrasse", "Zwerg-Nase-Weg", "Kleeblattstrasse"... Qui a bien pu trouver des noms pareils ! Et comment veux-tu qu'on se retrouve dans ta cinquantaine de "Wilhelmstrasse" ? J'ose à peine parler de tes habitants névrosés qui ne traversent que lorsque l'ampelmann est vert et qui, dans un vieux reste de mentalité prussienne, vouent aux Français un mépris inconditionnel. Certains ont d'autre part une drôle de façon de se vêtir et trouvent que le rouge et le rose sont des couleurs qui s'associent sans problème ou bien portent des chaussettes qui s'arrêtent à mi-mollet avec des escarpins et une jupe courte. Franchement, Berlin, tu pourrais leur dire que c'est laid. J'ai vu chez toi les vêtements et les coupes de cheveux les plus improbables qu'on puisse imaginer. Quant à la façon de parler des autochtones... Entre l'accent berlinois et l'accent brandebourgeois, j'ai cru devenir folle. Le "s" devient "t", le "g" devient "j" ou "ch"... Et ils nous sortent parfois des sons étranges tels que "ick" pour dire "ich" ou "wa" en fin de phrase, qui m'ont rendue plus que perplexe au début. "Wat kikste?" signifie "Was guckst du?". Si, si. Dans la rue, dans le métro, à la fac, il y a de la bouffe partout, tu attires tes habitants grâce à tes prix dérisoires et tu les engraisses, pour qu'ils ne puissent plus fuir. Pour ça tu es très forte, tu as ouvert des perspectives cullinaires dont j'ignorais complètement l'existence. La Currywurst se consomme à toute heure, le fromage blanc se mange salé avec des herbes, la pâte d'amande se mélange avec tout, surtout avec de la bière. Tu devrais avoir honte de toi, à cause de ta bière tous les hommes à partir de 25 ans ont un petit ventre significatif du liquide qu'ils ingurgitent en grande quantité. Tu es insupportable.
Et pourtant, tu rayonnes. Comment dire à quel point j'adore ton ambiance jeune et décalée, tes espaces verts, tes trottoirs toujours pleins de vie, tes transports en commun sans interruption pendant le week-end, et le fait que l'on puisse sortir sans être bien habillée ni coiffée sans que pour autant tout le monde nous regarde avec dégoût. Berlin, ma belle, ce ne fut pas "die Liebe auf dem ersten Blick", certainement pas, mais peu importe. Moi qui étais à la recherche d'exotisme et de découvertes, j'ai trouvé mon bonheur au bout de ma rue.
Dies war eine Liebeserklärung an Berlin, meine vermisste Adoptivstadt.